Les Catacombes de Castlebaie

Saoirse est née de noble lignage. Ses deux parents descendaient tous deux de la grande lignée des anciens, enfants de la mer et des chênes moussus, et leur sang sacré prenait sa source dans les mythes anciens et les chants des druides disparus. Ils étaient riches et puissants, régnant sur un royaume fécond sans rien en posséder. Leur palais était plus grand que celui de tous les autres monarques de la terre, rempli de colonnades somptueuses où coulait la lumière liquide, s'égouttant à travers des vitraux qui la réfractaient et la décomposaient en un spectre formidable jusqu'à venir s'éteindre dans la mousse des tentures profondes qui berçaient l'espace de leur douce étreinte. On venait de très loin pour les consulter et prier à leurs côtés les anciens dieux, les dieux sans visage et sans nom qui pleurent leur oubli des mortels. Leur fille grandit avec les esprits, vestige innocent d'un peuple en ruines. Elle discutait avec les esprits et parlait aux dieux, écoutait la pierre et chantait pour le potager ; sous ses pas fleurissaient les âmes qui la suivaient et sous ses doigts le bois parlait ; elle égrainait déjà colliers de chance et amulettes de guérison selon les anciens rites.

Mais ceux-qui-voient étaient aussi craints que vénérés par le petit peuple, et ni Saoirse ni ses parents ne purent enrayer la malédiction qui semblait s'être abattue sur leur lignage ; peu à peu, ils disparaissaient du monde. De moins en moins sollicités, s'enfonçant toujours plus profond dans la forêt qui les abritaient, leur réalité finit par se confondre avec celle des contes de grand-mère. Ils étaient oubliés. Et quand les hommes revinrent, ce fut avec des haches et des torches, et pour jeter à bas les vieilles idoles païennes, cracher sur les arbres décorés, arracher les plantes saintes et brûler la demeure du « démon ». Le sorcier qu'ils cherchaient mourut de tristesse devant la profanation de son sanctuaire. La sorcière qui l'aimait se laissa envahir par le chagrin et perdit la raison et son chemin dans les bois impénétrables. Et Saoirse resta seule.

Elle a rebâtit la cabane de son enfance, un peu plus loin vers l'Est, redressé les statues grossières et redonné leurs offrandes aux dieux naturels. La fille des bois continue sa vie, entourée de la magie de sa race, et cultive son jardin. De temps à autres, une paysanne vient lui demander un remède pour ses vaches, une protection contre le mauvais-œil ou un collier béni pour son nourrisson, afin de lui assurer la protection des divinités secrètes de ses ancêtres. Plus rarement encore, quelqu'un vient pour prier, déposer une offrande ou se marier dans le secret des bois anciens. Saoirse surveille sa forêt et s'en occupe, comme elle s'occupe de sa mère démente, cachée dans le cœur le plus sombre des bois et qui pleure sous la lune attentive à son malheur.