Les Catacombes de Castlebaie

Otovus est issu d'une riche famille aristocratique d'un pays limitrophe à Castlebaie, et tandis que ses frères reprirent le commerce familial, il fut envoyé étudier le droit à l'université de Solonges – ville réputée pour son rayonnement intellectuel. Jeune homme brillant, il se forma au grand métier d'avocat, la formation la plus respectée dans le domaine de la Justice en son pays. Il connaît la langue sacrée, a étudié les mathématiques, la musique et la philosophie en plus des trois disciplines traditionnelles de sa formation : rhétorique, dialectique et grammaire. Dans le milieu réputé dépravé des universités et des écoles, il fut remarqué pour ses dons exceptionnels et ses excellents résultats – ainsi que pour l'affection qu'il portait aux jeunes hommes qu'il surveillait.

A trente ans passés, il était diplômé et prêt à fonder son cabinet dans la ville qui l'avait vu naître ; mais le destin bienveillant lui réservait un avenir tout autre. Le roi de Castlebaie, pays voisin, avait entendu parler de cet étudiant brillant et Otovus découvrit qu'il avait été recommandé pour un office prestigieux : conseiller royal, chargé de la Justice de tout un royaume étranger. Il fit ses bagages et dit adieu à sa famille, les richissimes Util, puis embarqua pour le port de Castlebaie, longeant vers le Sud la chaîne de l'Aliena qui plongeait son corps découpé dans les eaux du Hyacintho.

Pendant les quelques jours de son voyage, il étudia avec attention les documents qu'on lui avait fait parvenir sur l'organisation judiciaire et la législation de son pays d'accueil. Le cœur gonflé d'ambitions, il était prêt à se dévouer corps et âme pour sa tâche quasi-divine, celle d'organiser les différents corps sociaux et de protéger les intérêts de chacun d'eux afin de préserver l'ordre naturel des hommes et permettre à Castlebaie de rayonner moralement sur le continent.

Mais rapidement, il déchanta. Le roi Conviction, enfermé dans son délire paranoïaque et obsédé par le contrôle de sa cité, mit rapidement la bride au cou du juriste. Nul ne dirigeait sa cité sinon lui. Menacé, puis soudoyé, pour qu'il se rangeât à l'avis du souverain, Otovus abandonna bien vite ses louables ambitions et ses projets de clarification de la hiérarchie des tribunaux. Le guet qu'il avait réformé dans le but de le préparer aux incendies fut détourné de sa fonction et transformé en un autre outil de répression, avant d'être tout simplement fondu dans la Garde Royale. Une nouvelle taxe se greffa sur le système judiciaire, rendant hors de prix de demander un procès et ruineux de s'y défendre, et le conseiller laissa faire. Il légiféra à contrecœur sur les règlement des corporations marchandes de la ville pour y instaurer les prix minimum d'une denrée et augmenter les taxes sur les marchandises étrangères – satisfaisant les gros bourgeois qui avaient influencé cette décision –, créant un impôt à verser à la couronne ainsi qu'à la trésorerie de la corporation concernée pour avoir le droit de pratiquer leur métier et augmentant les pourcentages et redevances que les ateliers devaient fournir sur leur chiffre d'affaire – satisfaisant cette fois le trésorier royal.

Désabusé, Otovus Util se laisse vivre et ferme les yeux sur la situation de Castlebaie qui se dégrade de jours en jours, vivant richement dans les appartements prêtés par la royauté au détenteur du titre de Conseiller. La musique, la bonne chaire, les vins appétissants et, dit-on secrètement, les jeunes hommes, lui font oublier sa corruption et l'abandon de ses valeurs.