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Eddie Redmayne

Jevan Hur Amede

« It's like everyone tells a story about themselves inside their own head. Always. All the time. That story makes you what you are. We build ourselves out of that story. »

 

La raison aurait voulu que l'on commence par sa naissance. L'instinct aurait désiré que l'on parle de la fumée bleue. 
Nous commencerons par son nom.

 

Jevan, de la tribu des Hur Amede.
Une nouvelle fois, un dilemme. Développerons-nous son nom, ou sa tribu ? L'un comme l'autre, mérite que l'on s'y attarde, mais le temps nous est compté, il l'est depuis toujours. 
Un nom est plus qu'un assemblage de lettres. Surtout lorsqu'il prend vie. Il peut être eau, comme flamme, joie, comme terreur. Un nom peut voler, comme il peut ramper. La symphonie des mots ne trompent pas. Jevan. Insouciance naturelle assemblée à une force de caractère. Frôlant parfois l'orgueil, ne s'aventurant jamais sur les rives de la méchanceté. 

 

Les Hur Amede étaient une grande tribu connue par-delà les frontières du Royaume, regorgeant de nomades qui, pour la plupart, s'étaient faits fripons. D'autres, parmi les braves, survivaient par le troc, échangeant vieilles friperies contre blé et germe. D'autres, encore, comme la famille de Jevan, avaient eu l'audace de monter une troupe de comédiens et arpentaient la ville et ses alentours pour y donner des représentations à visée comique qui faisaient leur fortune. La chose était modeste, mais elle permettait la survie. Leur troupe était connue et fort appréciée, en ce qu'elle comptait des comédiens de qualité, et, mieux encore, des musiciens avertis. Les parents de Jevan nombraient parmi ces derniers.

 

Très tôt, l'enfant révéla une intelligence développée. Ajouté à une capacité d'apprentissage extraordinaire, il s'avéra posséder une mémoire hors du commun. Ainsi, lors de leurs multiples déplacements, Jevan rencontraient toutes sortes d'individus qui faisaient son apprentissage. Il n'avait pas eu de précepteurs, il tenait son enseignement de la lecture et l'écriture de sa mère, mais passait la majorité de son temps libre le nez enfoui dans les bouquins qui traînaient dans sa caravane et où l'on y contait l'histoire de ces mythes que l'on retrouvait dans les vers des ménestrels. Il se passionna bien vite pour les vieilles légendes chantées le soir autour du feu et ses nuits étaient bercées par les ombres des héros de ces récits.

 

Nous ne vous relaterons pas la vie de comédien, ne nous vous confierons rien de la scène, du public, du spectacle. Nous laissons à votre imagination le soin d'alimenter ce décor avec des couleurs chaleureuses, des rires et de la quiétude. Voilà l'environnement dans lequel a grandi Jevon. 
N'importe quel autre enfant était en droit de le lui envier.

 

Un jour, alors qu'il s'occupait de l'éclairage pour la représentation nocturne de l'une de leurs pièces dans laquelle il ne jouait pas, un homme s'approcha de lui, sans qu'il ne l'entendît, et lui glissa ces mots :
« Quelle prétention de tenir ainsi la lumière dans sa main. »
Jevan avait sursauté, manquant renverser la chandelle de suif. L'homme avait ri.
« Qui êtes-vous ? s'était enquit le garçon. »
L'étranger était vêtu d'une cape noire qui traînait au sol et remontait jusqu'au col. La faible clarté ne lui permettait pas de distinguer les traits de son visage avec précision, mais il situait son âge aux alentours des 30 ans. Peut-être était-il légèrement plus jeune. Peut-être était-il légèrement plus vieux. Quoi qu'il en fût, Jevan, qui n'avait alors pas encore atteint 10 ans, fut déconcerté par ce nouvel arrivant. Il se dégageait de lui quelque chose d'étrange, de mystérieux, sans que ce ne fût sombre, et ce, malgré la folie que l'on pouvait voir s'agiter au fond de ces prunelles bleutées.
« Lâche la chandelle, avait-il ordonné, ignorant sa question. 
- Si je fais ça, l'herbe à nos pieds va s'enflammer.
- Le feu, comme l'air, ne peut être domestiqué. Lâche la chandelle. »
Il n'aurait su dire ce qui l'avait fait s'exécuter. L'intonation de sa voix ? L'éclat de son regard ? Ou peut-être la chandelle, elle-même, qui avait semblé devenir brûlante, soudain.
Il avait lâché la chandelle.

 

Comme prévu, l'herbe, à ses pieds, prit feu. Rapidement, l'étincelle devint flamme et Jevan, pris de panique, releva ses yeux émeraudes affolés vers son interlocuteur, mais ce dernier avait disparu.
Comme par magie.
Le jeune garçon étouffa un juron et essaya d'éteindre le feu avec la semelle de ses chaussures, mais ce dernier avait trop pris. Il fut bientôt forcé de reculer. Dans la salle, on commença à sentir l'odeur du feu. On se mit à s'agiter et à quitter sa place pour gagner la sortie. Les comédiens, eux-mêmes, se mirent à gesticuler en tout sens pour finir par quitter la scène dans leurs costumes.
Jevan, abasourdi, s'était éloigné du feu pour s'accroupir derrière sa caravane. Il n'osait plus bouger. C'était alors que deux représentants de la Royauté, vêtus de leurs uniformes, s'étaient approchés de lui.
« Dis-moi, petit, est-ce toi qui a mis le feu ?
- N... non, messires.
- Aurais-tu vu passer un homme appareillé d'une longue cape noire ?
- Non...
- En es-tu bien sûr ? 
- Ou... Oui, messires. »
Sans s'attarder davantage et sans se préoccuper du feu qui se déployait, ils poursuivirent leur chemin.
Plusieurs minutes s'étaient écoulées lorsque la toile qui refermait la caravane s'ouvrit, faisant sursauter notre apprenti. C'était avec fureur que Jevan reconnut le visage de l'homme responsable de son malheur.
« Vous ! s'était-il écrié.
- Sont-ils bien partis ?
- A cause de vous, la pièce a dû être interrompue, des gens auraient pu être blessés !
- Mais ce n'est pas le cas, n'est-ce pas ? avait-il dit, désinvolte, en sautant hors de la caravane.
- Pourquoi avoir fait ça ?
- Pour faire diversion, bien sûr. 
- Pourquoi ces hommes vous cherchent-ils ?
- Si je te le disais, me croirais-tu ? »
Jevan réfléchit un instant, avant de secouer négativement la tête.
« Les mots ne trouvent leur utilité que dans les actes, déclara-t-il simplement. »
Là-dessus, il s'approcha des flammes et Jevan ignora ce qu'il se produit à ce moment-là, mais en quelques secondes, le feu se fit aspirer. Aspirer, oui, il n'aurait su le décrire autrement. La terre engloutit les flammes et recracha un filet d'eau, comme un maigre ruisseau.
Jevan, médusé, n'osa en croire ses yeux.
« Comment faîtes-vous ça ! s'était-il exclamé.
- C'est une longue histoire, peut-être es-tu à présent prêt à l'écouter, jeune Hur Amede.
- Me la raconteriez-vous, sans même me connaître ?
- Disons qu'après ceci, je te dois une fière chandelle. »
Il se mit à rire, et ses éclats furent si forts qu'ils secouèrent le feuillage des branches.

 

Il s'appelait Nelod et avait été forcé de fuir l'Université où il enseignait suite aux accusations qu'on lui portait. On l'accusait d'user de sorcellerie, et, par ces temps où la magie était grand tabou, on avait souhaité l'enfermer dans cet Asile de fous. Il s'était alors échappé et avait couru le Royaume jusqu'à arriver aux frontières de la ville. 

 

Si Nelod était vraiment sorcier, Jevan le crut d'abord, après le tour dont il avait été témoin qui avait changé le feu en eau. Mais Nelod, après avoir conversé avec les parents de Jevan, eut l'autorisation de les accompagner durant leurs déplacements, en gagnant leur confiance d'une façon que nous ignorons. Dès lors, il prit Jevan sous son éducation et ouvrit son esprit aux lois du Sympathisme, cette science qui impliquait l'échange de matière. Jevan ressentait pour lui une profonde admiration en ce qu'il connaissait le nom des Choses.
Nelod ne marcha pas longtemps aux côtés des Hur Amede. Quelques mois plus tard, il décida de se retirer dans un faubourg éloigné de la Grande Ville. Là, disait-il, logeait des amis de sa connaissance qui l'aideraient. Il laissa à son apprenti un livre qui développait toute la théorie du Sympathisme, et le pria de faire son inscription à l'Université dès qu'il en aurait l'âge requis, persuadé qu'il réussirait les tests d'entrée sans encombre. En effet, il avait montré une facilité d'apprentissage qui relevait quasiment du don.
Jevan, depuis, n'eut plus jamais entendu parler de lui.

 

Il avait 12 ans, lorsque le drame se produisit.
Un jour qu'il fut parti ramasser des champignons dans le bois qui juxtaposait l'emplacement de leurs caravanes, il sentit une odeur de fumée. Alerté, il s'empressa de revenir près du camp. Mais c'était trop tard. De sa tribu, il ne restait que des lambeaux de chair brûlée. Ainsi qu'une fumée bleue.
Celle que laissaient les officiers du Roi derrière eux lorsqu'ils frappaient.
Jevan ne comprit pas. Il vit sa mère et son père, qui gisaient au sol, et il ne comprit pas.

 

Ce qu'il fallait savoir, c'était que -comme nous l'avons mentionné précédemment- le père de Jevan était musicien. Il aimait composer ses propres chansons et pour celles-ci, il faisait généralement ses recherches. Un chant était une voix qui se transmettait au fil des années et pouvait, s'il était assez puissant, traverser les siècles.
Le père de Jevan composait bien souvent à partir de mythes et de légendes. Il travaillait sur une nouvelle chanson dont il taisait le sujet depuis plusieurs mois. Son assassinat et celui de sa tribu y était probablement mêlé lorsque l'on connaissait l'aversion du Roi pour tout ce qui touchait à la Magie.
Jevan jura de les venger.

 

Mais pour l'heure, il n'était plus qu'un orphelin. Il arracha un morceau de toile qui n'était pas endommagé de l'une des caravanes et s'en fit un sac. Dedans, il enfouit le livre de Nelod, qui ne le quittait jamais, ainsi que le luth de son père. Jevan savait jouer, il s'exerçait depuis toujours.

 

Les années qui suivirent furent éprouvantes. Livré à lui-même, Jevan dû survivre à raison de mendicité et de vol. Il fut maintes fois tabassé, maintes fois humilié. Jamais il ne devint rude, ou méchant. Il gardait sa haine toute entière pour le Roi.

 

Ce fut à l'âge de 17 ans qu'il entra à l'Université, marquant ainsi l'histoire de cette prestigieuse école par son jeune âge. Il avait su épater les différents Maîtres qui lui faisaient passer son entretien d'admission, et, ainsi, pu accéder à l'enseignement sans avoir un sou en poche.

 

Là-bas, il rencontra Eden. Un soir, alors qu'il jouait de son luth sur les toits pendant que les étudiants dormaient, il avait entendu un bruit doux, comme un buisson qui frissonne. Rien ne l'avait interpellé, jusqu'à ce que le bruit ne se mît à revenir tous les soirs. Il devina alors qu'on l'écoutait. Il avait demandé à l'intrus de se montrer, mais rien n'y avait fait.
Il dû ruser pour le surprendre. Au lieu de s'installer sur les toits comme il en avait l'habitude, il l'attendit un soir aux pieds du bâtiment et se faufila au travers des arbustes. L'intrus ne tarda pas à se manifester.
Et c'était une fille.
La nuit était noire et ne lui permettait pas de discerner les couleurs de sa silhouette. Elle était maigre et se déplaçait comme un félin, avec une méfiance dans sa démarche qui trahissait une certaine insécurité. Lorsque Jevan sortit de l'ombre, elle voulut s'échapper. 
« Je ne vais pas te faire de mal ! avait-il chuchoté à son encontre alors qu'elle décampait. »
Elle s'était arrêtée dans sa course, sans se retourner. Il avait poursuivi.
« Je vais continuer de jouer pour toi, tous les jours. Tu seras ma muse de l'ombre. »
Elle avait hésité pendant de longues secondes. 
Avant de revenir sur ses pas.

 

Il ne connaissait rien d'elle, pas même son nom. Il l'avait surnommée Eden, parce que le nom seyait au versement de ses cheveux blonds sur ses épaules et à l'abime bleuté de son regard. Elle avait mis beaucoup de temps avant de parler, et sa voix était un mélange clair et rocailleux, un timbre qu'aurait eu une rose si elle était née sur un caillou. 
Elle vivait dans les sous-sol de la ville et souffrait une vie de misère et de pauvreté. Jevan essayait toujours de lui ramener quelque chose à manger, le soir; en échange, elle lui apportait ce qu'elle pouvait dénicher dans la journée, que ce fût une simple pierre, ou une parole jetée par un passant.
Eden aimait ses chansons. Elle pouvait passer des heures, silencieuse, à l'écouter jouer. C'était probablement ce qu'il appréciait le plus chez elle. Elle savait écouter. Elle savait vraiment écouter, parce qu'elle connaissait le bruit du silence. 
De là, naquit une amitié étrange entre eux.

 

Il y eut également Tenna.
Comment l'évoquer ?
Tenna était le rayon de soleil fugitif derrière l'averse. Elle était le goût salé des larmes versées par affection. Tenna était la fleur tenue dans la main de Satan.
Insaisissable.
La fascination qu'il ressentait à son égard résultait du mystère qui planait autour d'elle. Ses yeux noirs, immenses, reflétaient un abîme de joyaux cachés, et son sourire dessinait des songes féeriques en forme de promesse. 

 

Aujourd'hui, Jevan poursuit son apprentissage dans les couloirs de l'Université, où lui sont enseignés l'Histoire, les Sciences et le Langage. Des rumeurs salissent la réputation de l'école, on y parle à voix basse d'une science différente des mathématiques ou de la physique.
La chose est taboue. La chose coûte des vies.
Jevan le sait.
Il n'a pas oublié la couleur de la fumée. 

 

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Camille, Léa et QUENTIN.
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